A la suite de son installation en tant que cinquième président de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, il a vite annulé les derniers décrets de nominations de magistrats pris par Macky Sall. Pendant ce temps, l’enquête sur l’affaire relative aux graves accusations de corruption de « sages » du Conseil constitutionnel reste au point mort.
Malgré son rôle très décisif dans l’organisation du scrutin présidentiel du 24 mars dernier, malgré les caprices et les calculs électoralistes de la classe politique sénégalaise, le Conseil constitutionnel a été traîné dans la boue, à tort ou à raison. Le Parti démocratie sénégalais (Pds) qui, dénonçant l’invalidation de la candidature de Karim Wade pour double nationalité, a porté un sacré coup à cette institution avec à la clef de graves accusations de corruption et de conflits d’intérêt. En effet, appuyés par l’Alliance pour la République (Apr), parti du chef de l’Etat sortant, et une bonne partie des membres de la coalition Benno bokk yaakar (Bby), les députés du Pds ont même proposé la création d’une commission d’enquête parlementaire portant sur le processus électoral.
Cette commission serait chargée de faire la lumière sur « les conflits d’intérêts, les avantages et les soupçons de corruption et de collusion » de certains membres du Conseil constitutionnel avec des candidats. Dans ce document de quatre pages, les députés libéraux ont évoqué les « conditions douteuses » dans lesquelles le fils de Me Wade a vu sa candidature invalidée et une « volonté manifeste du Conseil constitutionnel d’écarter tous les candidats susceptibles d’entraver le projet de confiscation du pouvoir par Amadou Ba ».
Dans le viseur du Pds, deux des sept sages du Conseil constitutionnel : les juges Cheikh Tidiane Coulibaly et Cheikh Ndiaye. « Sur la base d’un faisceau d’indices concordants, il apparaît que [ceux-ci] ont des connexions douteuses avec certains candidats et se trouvent dans une situation de conflits d’intérêts », poursuit la résolution. Des accusations qui avaient été propagées par les responsables de la formation bleue, via les médias et les réseaux sociaux, dès la publication de la liste officielle des candidats.
Ce 29 janvier, considérant que ces allégations portent atteinte à son honneur et sa considération, Cheikh Ndiaye a déposé une plainte contre X auprès du procureur du tribunal régional hors classe de Dakar pour « diffamation, outrage à magistrat et discrédit jeté sur une décision de justice ».
Sur le plateau d’une émission de la chaîne 2sTv, la députée Nafissatou Diallo, par ailleurs secrétaire nationale à la communication du Pds, enfonçait le clou. « Les preuves qu’on a données sont très claires : certains ont reçu de l’argent pour faire invalider sa candidature [celle de Karim Wade] et en faire passer d’autres. […] Il y a quelqu’un qui a corrompu des gens… On a cité nommément Amadou Ba », affirme-t-elle.
Mais cette commission d’enquête n’aura duré que quelques petits jours. Le 18 février, son président Abdou Mbow a lui-même annoncé, dans un communiqué, la mort de ladite commission, à la suite de l’ouverture d’une information judiciaire, se fondant sur les dispositions du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
Mais depuis lors, rien de nouveau sous le soleil. Dans une longue contribution, la semaine dernière, l’ancien député Thierno Bocoum a exprimé ses préoccupations par rapport à ces accusations graves contre de hautes personnalités de notre pays, en l’occurrence des juges du Conseil constitutionnel. Cette affaire, dit le leader du mouvement Agir, a « conduit à une tentative de report de l’élection présidentielle de 2024, créant une situation chaotique qui a abouti à la mort de compatriotes ».
Dans le journal «Bés Bi » du 11 mai, le médiateur de la République, Demba Kandji, a qualifié d’«épiphénomène» ces accusations. « Ils étaient dans leur rôle [les Sages du Conseil constitutionnel] et ont fait objectivement leur travail», a tranché l’ancien juge. Pour lui, «c’est aux accusateurs d’apporter la preuve. Je retiens que le serment du magistrat lui impose le devoir de réserve. Même une commission parlementaire [envisagée avant d’être abandonnée] ne peut entendre le juge».
Amnistie ou protocole du Cap Manuel ?
Quoi qu’il en soit, elle suscite moult interrogations surtout si l’on sait que le champ de la loi d’amnistie est loin d’être limité. Le texte initié et défendu par Macky Sall lui-même, est la concrétisation d’une « volonté d’apaisement de l’espace politique, de réconciliation et de dépassement », selon la présidence sénégalaise. « Cette loi d’amnistie permettra de pacifier l’espace politique et social, de raffermir davantage notre cohésion nationale et de maintenir le rayonnement démocratique de notre pays », déclarait le président d’alors. Elle couvre « tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle ou correctionnelle, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu’à l’étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques, y compris celles faites par tous supports de communication, que leurs auteurs aient été jugés ou non ».
En tout cas, l’expression « motivations politiques » est un four tout qui peut être sujette à différentes interprétations. Cependant, cette affaire mettant en cause l’honorabilité des juges, des sages de surcroît, mérite d’être élucidée.
Pourtant, c’est ce même Conseil qui a sauvé la République et la démocratie sénégalaises. Sa décision, invalidant la loi instituant le report de l’élection présidentielle et abrogeant le décret s’y rattachant, a été fortement saluée.
Mieux, les juges se sont montrés plus courageux pour faire respecter leur décision. Dans une décision rendue mercredi 6 mars, le Conseil constitutionnel a rejeté toutes les conclusions du Dialogue national des 26 et 27 février, soulignant que la « fixation de la date du scrutin au-delà de la durée du mandat du président de la République en exercice est contraire à la Constitution ». De plus, ils ont rappelé que « seuls les 19 candidats retenus par la décision n° 4/E/2024 du 20 février 2024 participent au scrutin ». C’est le Conseil qui a proclamé les résultats du scrutin et ce sont eux qui ont reçu la prestation du Président élu, dont voici les termes : « Devant Dieu et devant la nation sénégalaise, je jure de remplir fidèlement la charge de Président de la République du Sénégal, d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois, de consacrer toutes mes forces à défendre les institutions constitutionnelles, l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale, de ne ménager enfin aucun effort pour la réalisation de l’unité africaine ».
Alors les nouvelles autorités, vont-elles peser de leur poids pour éclairer la lanterne des Sénégalais ? En tout état de cause, beaucoup d’observateurs ont déjà versé cette lenteur dans le contenu d’un prétendu protocole du cap Manuel.