Le fait même d’entretenir le clair-obscur est un aveu. La dérive autoritaire commence quand le prince peut faire dire au signe linguistique ce qu’il veut. L’esquif Sénégal ressemble à une barque qui a perdu son cap relayées et débattues. Au lieu de cela, nous assistons dans ce lieu et dans l’espace public à une dégradation générale de la parole devenue violente et ordurière.
Nous assistons incrédules à l’érosion de ce qui a fait de notre pays une nation qui a su éviter les conflits ethnico-religieux, les coups d’états militaires, les guerres civiles dans une Afrique postcoloniale aux prises avec des soubresauts multiples. Ce tissu social solide, en dépit de ses vulnérabilités, est le résultat d’une lente construction collective, faite de consensus sociaux, de combats politiques, de luttes citoyennes et syndicales, d’avancées démocratiques conquises de haute lutte, de cohabitation interreligieuse et inter-ethnique préservée par une ingénierie culturelle et sociale, des valeurs partagées ; mais aussi par l’édification lente et patiente d’institutions sociales et politiques jouant leur rôle. C’est de l’une de ces institutions – pierre angulaire, la Constitution, dont vous êtes le gardien et le garant.
M. le président de la République,
Vos prédécesseurs ont chacun à sa manière, en dépit des limites de leurs mandatures (et du forcing avorté de Wade), contribué à renforcer la démocratie sénégalaise en apportant leur pierre au difficile édifice. La vôtre, á ce moment de notre histoire politique, est de poser un acte qui contribuera à faire de notre nation de manière irréversible une démocratie majeure, qui a définitivement résolu la question de la transmission pacifique du pouvoir, et celle d’une alternance inscrite dans ses textes et surtout dans ses pratiques et ses traditions. Afin qu’enfin les élections deviennent des moments de débat sur le destin de la nation et plus ceux de nuages gros de risques, planant au-dessus de nos têtes.
Lorsqu’il y aura des manifestations et des troubles contre un troisième mandat – et il est à prévoir qu’il y en ait si vous vous présentez – car il n’y a aucune raison pour que le peuple sénégalais accepte en 2024 ce qu’il avait refusé en 2012 (souvenez-vous que c’est ce refus du troisième mandat que souhaitait Wade qui vous a porté au pouvoir en 2012) ; et que des vies humaines seront perdues, car vous avez surarmé la police et la gendarmerie. Vous en porterez la responsabilité. Nous attendons de vous que vous annonciez qu’après avoir été élu deux fois à la tête du Sénégal ; que vous ne vous porterez pas candidat une troisième fois à l’élection présidentielle ; et que ce faisant, vous respectiez votre serment, que vous rendiez au Sénégalaises l’honneur qu’ils vous ont fait en vous confiant leur destin durant deux mandats, et que vous consolidiez et préserviez notre démocratie.